De jolies boites

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LES JOLIES BOITES DE CIVRY
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 Toutes les maisons de CIVRY, enfin ... presque toutes, s'enorgueillissent de posséder une ou plusieurs boîtes en marqueterie. Qu'elles servent à serrer des bijoux, ou à ranger des gants, qu'elles soient compartimentées, ou à double fond, ces boîtes, très travaillées, sont fort jolies. C'est en les contemplant que nous avons voulu connaître leur histoire.

 Ainsi, on relève dans l'annuaire du Commerce de l'Yonne de 1886 que Monsieur BONNAIRE Fils fabrique des « Meubles et des boîtes en bois ». Celui de 1913 mentionne « Fabrique de boîtes à gants, coffrets, boîtes pour appareils photographiques : BACOT Théodule ». Comment cette entreprise, relativement importante pour notre village, est-elle passée de l'honorable Famille BONNAIRE, dont le premier industriel fut Maire de CIVRY sous le second Empire, au modeste Théodule BACOT et à son épouse Prudence ?

 Un nouvel habitant de l'ISLE-SUR-SEREIN, descendant direct, par la branche maternelle, de la Famille BONNAIRE, nous aide à le savoir.

 Joseph BONNAIRE, ébéniste, né en 1803, avait installé son atelier sur le Chemin de la Croix Percée, à CIVRY, au lieu dit « LA CORVÉE », au-dessus de l'ISLE, parce qu'il n'était pas question de polluer ce bourg par la fumée de la cheminée de la fabrique : déjà on se préoccupait d'écologie.

 Si cette cheminée ne se dresse plus au-dessus de l'ancien atelier, le puits qui alimentait la dérouleuse à bois, fonctionnant à la vapeur, existe, lui, toujours. Une autre partie des bâtiments, servant aujourd'hui d'habitation, était utilisée pour le montage des boîtes, le collage et le vernissage des marqueteries.

 

TYPES DE BOÎTES FABRIQUEES A CIVRY

 

 Les essences utilisées étaient divers arbres fruitiers, dont du citronnier, du noyer, ainsi que de l'érable, du palissandre, de la loupe d'orme, du bois de rose avec de fort belles incrustations de nacre ou de fils de cuivre. De ces bois précieux sortaient de très jolis coffrets capitonnés de satin boîtes à bijoux, boîtes à gants, boîtes à thé, boîtes à timbres, coffrets pour services à liqueur, boîtes pour chronomètres, car les plus gros clients étaient suisses. Ces fabricants de montres commandaient des « boîtes écrins » à l'Entreprise BONAIRE. Pour les satisfaire, Joseph, et ensuite son Fils Alexandre, employaient une quinzaine d'ouvriers.

 Alexandre BONNAIRE et son épouse Elisabeth CHATEY avaient eu quatre enfants : Anna, Gabriel, le seul fils, puis deux autres filles : Adeline et Jeanne, les « Demoiselles BONNAIRE » comme nous les appelions, alors qu'elles habitaient la Grande Rue de L'ISLE, à côté de l'ancienne poste dont elles étaient propriétaires.

  Lorsqu’ Alexandre disparut en 1895, il n'avait pas soixante ans. Son fils Gabriel, la trentaine, voulut accélérer la production ; la qualité du travail s'en ressentit ; les coffrets furent moins bien ouvragés. C'est ainsi que des boîtes au vernis à peine sec sont expédiées en Suisse. A la réception de celles-ci, le vernis est collé à l'emballage : colère des Suisses qui retournent les coffrets à l'expéditeur : l'Entreprise BONNAIRE vient de perdre ses plus gros clients...

 Ensuite, lorsque Gabriel BONNAIRE est contacté par les représentants de la Société LEFRANC-BOURGEOIS pour confectionner des boîtes pour les tubes de couleurs, il pense que cette production n'est pas digne de sa fabrique...

 En continuant à rechercher dans les archives, on trouve un acte de vente où Gabriel BONNAIRE, cède sa part à ses trois soeurs, il lui est attribué la profession « d'ancien industriel », c'est en 1906, il n'a pas quarante ans.

 En consultant, de nouveau, l'annuaire de 1886, on trouve, à CIVRY, un horloger : Charles GOUREAU.

 Ses petits neveux nous racontent que Charles GOUREAU se rendait en Suisse pour son activité professionnelle. Sans aucun doute il a, lui aussi, confectionné des boîtes-écrins pour montres et chronomètres.

 C'est de son vivant, et devant sa maison, dans un petit appentis, qu'était installée une machine à vapeur alimentée par l'eau de la pompe toute proche et surmontée d'une cheminée en fer. Mais Charles GOUREAU meurt en 1905.

 Théodule BACOT, qui avait travaillé à l'Entreprise BONNAIRE, sous la direction d'Alexandre, et qui habitait la maison jouxtant celle de la Veuve GOUREAU, au centre du village, utilise le même matériel pour confectionner ses coffrets, boîtes à bijoux et boîtes pour appareils photographiques. Il reprend la clientèle suisse et, pour la satisfaire, embauche une dizaine d'ouvriers et d'ouvrières, tous habitants de CIVRY.

 Sur une photo prise devant l'atelier, juste avant la première guerre mondiale, on voit les employés entourant la Veuve GOUREAU et le couple BACOT.

 Celui-ci n'a pas de dérouleuse à bois. C'est à la scierie de Champréau, sur la commune voisine de MASSANGIS, qu'il achète ses planches. Quand elles ne sont pas suffisamment sèches à son gré, il les appuie obliquement sur le mur de soutènement de la pompe, en haut de la rue. Les bois de placage, souvent des bois exotiques, arrivent par colis.

 Madame Julie GOUREAU habite toujours le premier étage de sa maison, au fond de la courette. Les machines servant à découper et à assembler les bois des coffrets sont installées sous son logement ; à côté se trouvent l'atelier de collage et celui de vernissage de la marqueterie.

LE COUPLE BACOT ET SES OUVRIERS ENTOURANT MADAME GOUREAU

 Les boîtes sont munies de fines serrures et envoyées ensuite à PARIS pour être garnies intérieurement de satin. Elles sont, alors, aussi bien finies et de la même qualité que celles qui sortaient des Ateliers de l'Entreprise BONNAIRE au temps de son apogée.

 La première guerre mondiale prive Théodule BACOT de ses meilleurs éléments. Il continue son activité avec une main d'oeuvre plus âgée et essentiellement féminine, comme ce fut partout à l'époque. Cependant, la clientèle étrangère se raréfie. Après les hostilités, la petite usine n'est plus en mesure de redonner un emploi à ses ouvriers démobilisés.

 Les anciens de notre village se souviennent du « Petit Eugène ». C'est lui qui alimentait en bois et en eau la machine à vapeur, machine qui actionnait la grande roue entraînant tous les rouages de l'atelier.

 Un petit voisin avait donné un jeune corbeau à ce couple pittoresque. Ce corbeau, aux ailes coupées, avait appris à parler en écoutant les employés de l'atelier. Lorsque Théodule BACOT s'attardait au café du village, son épouse l'envoyait chercher par le volatile ; et on le voyait alors sautiller jusqu'à l'estaminet en croassant : « BACOT, BACOT »...

 Un soir du printemps de l'année 1930, un employé du moulin SEBILLOTTE qui remontait au village, vit des flammes sortir de l'atelier de collage. On donna l'alerte, la pompe à incendie est bien vite sortie de son hangar, mais les bois exotiques sont particulièrement inflammables. Le sinistre est important. Il faut faire appel à l'ISLE ; le chef lieu de canton est doté d'une pompe puissante qui, comme celle de CIVRY s'alimente dans la mare proche.

 Avec l'aide de tous les hommes valides, l'incendie est circonscrit. Mais l'atelier de collage est complètement détruit. Pas de victime, heureusement, sauf le pauvre corbeau qui avait l'habitude de coucher dans l'usine. Cet atelier n'a jamais été reconstruit. Aujourd'hui encore on en voit l'emplacement noirci.

 Le couple BACOT a transféré le local de finition dans l'ancien logement de Madame GOUREAU, au dessus de l'atelier de montage des boîtes. La machine à vapeur est remplacée par un moteur BERNARD.

 Et puis survient le décès de Madame BACOT. Son mari clôt définitivement la petite usine. Cette activité industrielle qui avait valu à notre village le qualificatif d' EXPORTATEUR est terminée.

 Entre les BONNAIRE, Père et Fils, à la Corvée et Charles GOUREAU, puis les BACOT au village, elle aura duré plus d'un siècle.

 On ne fabrique plus de jolies boites à CIVRY, mais elles sont toujours là.... regardez-les...

 

Article parut dans la revue "Arlimont", avec l'aimable autorisation de l'auteur.